La couleur de l’élagueur

Mahamadou est élagueur. Quand il arrive chez des nouveaux clients pour travailler, il fait face à des réactions diverses allant de la surprise, à la méfiance, jusqu’au mépris. Mahamadou est Malien. Je ne vais pas écrire cet article pour lui parce que Mahamadou n’a pas besoin que je le protège, ni que je le victimise. C’est un bon élagueur, formé, et professionnel. Il gère lui-même les regards des clients et des autres équipes, et il fait ça très bien.

Je vais écrire cet article pour moi et pour nous tous.

« Le racisme c’est mal. » Voilà ce que j’entends depuis petite dans tous les discours médiatiques, familiaux, sociaux et amicaux.

Seulement voilà, une fois qu’on a dit ça, « Il ne faut pas être raciste », qu’est-ce qu’on a dit ? Qu’est-ce qu’on a fait ? On a expulsé la problématique. On a empêché l’émotion. On a pointé du doigt vers l’extérieur. Le raciste c’est toujours l’autre. « Touche pas à mon pote ». « Black lives matter ». En nous-même, le racisme n’existe pas, il est interdit, puisque c’est mal. Or, le racisme c’est un raccourci de pensée, un conditionnement mental dû à une injonction collective, familiale, culturelle ou même empirique. C’est le rejet de l’Autre pour des raisons aussi diverses que la peur, l’envie, la méfiance, l’incompréhension, le sentiment de supériorité. C’est un mouvement de l’égo pour nous faire croire que notre manière de vivre ou de penser est la meilleure. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Pouvons-nous décemment penser que cela ne nous concerne jamais ?

La vérité c’est que si nous voulons rêver d’une humanité non raciste, il serait utile d’agir sur nous-mêmes plutôt que de vouloir guérir les autres. Parce que l’humanité commence par nous, et la première chose à faire serait de remarquer nos zones d’ombre, de les reconnaître et de les accepter (shadow work). Observons-nous. Dans quelle case facile (et parfois inconsciente) mettons-nous certaines personnes ? Les flics, les gros, les homosexuels, les riches, les pauvres, les hommes politiques, les femmes, les hommes, les Noirs, les Blancs, les Arabes, les chômeurs, les artistes, les gens de gauche, les gens de droites, les Juifs, les Portugais, les catholiques, les artistes, les médecins, les migrants, les enfants, les vieux, les banlieusards, les provinciaux, les rappeurs… Pour quelle catégorie allons-nous laisser notre cerveau décider de fonctionner par apriori ? Il n’y a pas de honte à reconnaître ces conditionnements. Ils sont universels. Penser qu’ils n’existent qu’à l’extérieur de nous, c’est nous empêcher de guérir individuellement et collectivement. Quand un chat croise pour la première fois un autre chat, il fait le dos rond, il crache, attaque, ou il prend la fuite. C’est ce que provoque la Différence, l’Alterité. C’est un mouvement inscrit dans notre inconscient depuis des millénaires.

Alors changeons vraiment les choses et acceptons cette vérité très intime que le raciste est d’abord en chacun de nous. Je sais, ça fait chier. Mais en reconnaissant ce conditionnement, nous pouvons mettre ensuite notre énergie dans la conscience de nos mécanismes, dans le questionnement de ce qui les provoque et dans la reprogrammation neuronale. Pourquoi ai-je décidé que je n’aime pas tel groupe social ? A qui suis-je fidèle en réagissant comme ça ? Est-ce de la peur ? De l’incompréhension ? Qu’est-ce que cela renvoie de moi comme insécurité, dans mon histoire personnelle, dans mon éducation ? Ensuite, comment changer ce qui est de l’ordre du réflexe ? Puis-je nommer des exemples de gens qui m’ont surpris et ont fait mentir mes préjugés ? Puis-je m’ouvrir aux récits des autres qui montrent que les défauts sont d’abord individuels et rarement collectifs ? Qu’est-ce que je nourris comme conflit, comme colère et comme opposition en participant à cette catégorisation hâtive et simpliste ? En faisant cela, suis-je en train de créer l’humanité dont je rêve ?

Pour moi, aucune révolution sociale ou politique ne pourra remplacer le travail de guérison individuel. Parce que, d’une certaine façon, rêver d’un mouvement collectif, c’est déjà botter en touche. C’est déjà faire l’impasse sur notre responsabilité individuelle, en demandant à la société d’être à la hauteur de nos ambitions à notre place, sans passer par la case miroir personnel. Tout défaut est pardonnable à condition d’être vu, reconnu et pris par les cornes pour être transmuté. Par contre, inutile et contre-productif de vouloir refiler la patate chaude aux autres.

C’est bien de nous qu’il s’agit.