La relation client-entrepreneur doit-elle être réinventée ?

Dans la longue liste des acquis comportementaux, j’invite à la table la relation client-entrepreneur fondée depuis longtemps sur le « Je paye donc on m’obéit » et sur son corollaire « Le client est roi donc je lui passe tout pour être certain d’être payé/d’obtenir le chantier ».

J’avoue que depuis mes débuts de paysagiste indépendante il y a 14 ans, il m’a fallu un certain temps et un certain nombre de projets avant de comprendre que cette distribution des rôles entre dominant et dominé me posait plus qu’un léger problème. Le problème de l’abus de pouvoir, bien sûr (mais auquel on pourrait opposer facilement la non-fiabilité des entreprises), le sentiment d’être considérée comme un être inférieur parfois, et enfin le rapport vertical classique exigeant, source de bras de fer quasi automatique en cas de souci sur le chantier.

Mais pas que. Si toutes ces choses me rendaient effectivement mal à l’aise, parfois jusqu’à l’angoisse absolue lors de nuits blanches, j’ai compris après quelques années ce qui m’empêchait vraiment de respirer sereinement pendant ce moment complexe qu’est la réalisation d’un jardin : le jeu de rôles.

Observons. La relation client/entrepreneur est faite, comme tout relation inter-humaine, de conditionnements. En gros, le client « joue » au client, pour correspondre à ce qu’on attend de lui inconsciemment, et l’entrepreneur « joue » à l’entrepreneur parce qu’il n’a connu que ça comme modèle. On reproduit les rapports de force qui existent dans le monde du travail depuis la nuit des temps. Nous avons par exemple remarqué que les « process » et les rapports de pouvoir hiérarchiques vécus dans les entreprises françaises se retrouvaient reproduites littéralement dans la sphère privée du propriétaire, vis-à-vis des équipes qui refont son jardin, paysagiste-concepteur compris. Ainsi, certains clients veulent des réunions hebdomadaires, des comptes rendus écrits, des moments où ils peuvent/doivent exercer leur mécontentement pour ne pas passer pour un faible. Oserais-je dire que ce sont des signes extérieurs d’une certaine idée de la masculinité ? Peut-être. Le problème c’est que nous avons rencontré beaucoup de femmes parmi nos clientes qui empruntaient le même chemin. Dommage.

Le conditionnement et le jeu de rôle ont la peau dure parce qu’ils offrent un cadre rassurant et familier pour les deux parties. Mais questionner les réflexes, les modes de réactions et le cloisonnement de la pensée ne permet-il pas d’avancer et de créer de nouvelles voies, et avec elles, des relations plus équilibrées, plus justes et plus épanouissantes ?

Comment ? Chez Canopées, nous avons choisi de sortir du jeu de rôles. Nous avons choisi de prendre le risque d’être nous-mêmes, d’être authentiques, d’être humaines. De nous fier à notre intuition. De ne plus essayer d’être parfaites. Le professionnalisme, par exemple, n’est pas incompatible avec une forme de légèreté ou d’humour. La bienveillance et la confiance sont des qualités qui, en étant réciproques, aident le chantier à mieux se passer. Nous n’acceptons plus de faire des projets pour des gens qui exercent des pressions, de l’intimidation ou du chantage, et ce, quel que soit le montant du projet qui passe à la trappe. Nous préférons la qualité de la relation professionnelle, le bien-être et le plaisir à travailler, à la quantité, la croissance obligatoire, et le chiffre d’affaire qui scintille. Nous montrons dès le début qui nous sommes, et nous ne laissons plus le monopole de l’exigence aux clients. Nous sommes travailleuses, organisées, consciencieuses et fiables, mais nous refusons d’être considérées comme des personnes corvéables, à la merci de leur commanditaire, et sous leur contrôle permanent.

Et devinez ce qui se passe ? Ça trie bien sûr. Tout le monde n’est pas prêt à sortir du jeu. Mais avec une grande majorité de nos clients, les relations se passent de manière totalement détendue, nous travaillons sans stress, dans la confiance mutuelle et dans le bonheur. Nous retrouvons l’envie de faire plaisir, de faire du beau travail et le chantier devient une collaboration humaine. Un imprévu ? On en parle sereinement, entre adultes s’étant dépouillés de la peur de se faire avoir. Une déception ? On communique, on explique. Rien n’est insurmontable quand vous installez une relation directe et authentique. Au contraire, tout le monde y gagne.

Alors, on essaye?