Dans l’enfer des souffleurs de jardin

Dans l’enfer des souffleurs de jardin (ou l’éloge du râteau à feuilles)

Avec le développement des immeubles et des copropriétés pourvues d’un « espace vert », l’humanité s’est vue affublée dans les dernières décades d’un nouvel animal à trompe : j’ai nommé le souffleur de feuilles.

Qui n’a pas entendu retentir son brame bruyant en fin de matinée, balayant en deux minutes toute la poésie des quartiers résidentiels et leur silence réconfortant ? Parce qu’il s’agit bien de faire autant de bruit que possible, pour quoi exactement ? Pour ramasser des feuilles… C’est-à-dire que la nature s’emmerde à faire tomber les feuilles mortes de la manière la plus discrète, la plus élégante et la plus silencieuse possible, pour que l’humain moderne les ramasse avec une vulgarité et un boucan inversement proportionnel…

Le souffleur de feuilles participe ainsi à augmenter le nombre de décibels dans l’espace extérieur, lui qui porte un casque anti-bruit pour ne pas être sourd à 40 ans. Le problème c’est que les voisins, les animaux, les oiseaux, les insectes ne portent pas ce casque anti-bruit…

Alors d’où vient cette marotte? De l’évolution des techniques d’entretien au sein des équipes d’espace vert, pardi. Pour pouvoir être plus rentable, les « jardiniers » (mais peut-on encore les appeler comme ça ?) se voient remettre des outils de plus en plus mécanisés pour faire « vite et propre ». Il n’y a qu’à voir la rapidité du passage de chaque équipe d’espace vert dans les co-pro pour se rendre compte à quel point cela fonctionne bien : des arbustes taillés façon obus de la 2ème guerre mondiale grâce au sacro-saint taille-haie (tacatacatacatac), des allées entièrement nettoyées de leurs feuilles grâce au souffleur (vrouuuuuuhouuuuu), et des pelouses parfaitement tondues grâce aux tondeuses thermiques (brrrrrrrrrrrroum). Tout fait du bruit. Plus un sécateur, plus un râteau, plus une respiration. Le progrès, quoi.

Et le propriétaire de jardin privé de se sentir obligé de leur emboîter le pas, et d’acheter lui aussi la panoplie de gadgets à moteur. J’ai pu assister à des scènes improbables de monsieurs-bien-comme-il-faut passer le souffleur pendant 15 minutes pour ramasser… 15 feuilles mortes, mouillées bien sûr.

Alors, il me semble de notre devoir de rappeler à tous et toutes que les feuilles mortes constituent un excellent humus dans les massifs et le potager, que l’action de ratisser la pelouse au râteau à feuilles est un excellent exercice méditatif, extrêmement valorisant, pas si long que ça et avec un joli bruit doux de critch silence critch silence critch. Rappeler que le jardin n’a pas vocation à être propre comme une salle de bains et que le bruit rend fou à la longue.

Entretenir son jardin, c’est d’abord l’observer, l’écouter, voir ce dont il a besoin, se faire plaisir en y passant le temps qu’on veut, et faire confiance à son instinct de jardinier. Pas besoin de moteur pour ça. A part celui du cœur.